La séance est ouverte à onze heures trente.
M. le président Olivier Falorni. Nous recevons à présent des membres de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Karine Guillaume, directrice de la BNEVP, Mme Marie-Claude Boucher, ingénieure de l’agriculture et de l’environnement et M. Jean-Blaise Davaine, directeur adjoint.
Mesdames, monsieur, nous avons souhaité vous entendre, compte tenu de vos missions, qui consistent à lutter contre la délinquance sanitaire et phytosanitaire organisée, à réaliser des enquêtes nationales et à appuyer techniquement les services de contrôle sanitaire.
La BNEVP compte une quinzaine d’agents. Selon leur spécialité, les enquêteurs prennent en charge des investigations ayant trait à la santé et à la protection animales, à la pharmacie vétérinaire, à l’identification des animaux domestiques, aux substances interdites, à l’hygiène alimentaire et à la protection des plantes. Ces agents disposent de pouvoirs de police judiciaire et administrative, qu’ils peuvent exercer sur l’ensemble du territoire national.
Il se trouve que votre brigade a été saisie des trois enquêtes ouvertes suite à la diffusion des vidéos mettant en cause les abattoirs d’Alès, du Vigan, et de Mauléon-Licharre et qui ont été à l’origine de cette commission d’enquête.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de lever la main droite et de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Karine Guillaume, Mme Marie-Claude Boucher et M. Jean-Blaise Davaine prêtent successivement serment.)
Mme Karine Guillaume, directrice de la Brigade Nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNVP), à la Direction générale de l’alimentation. La Brigade Nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, dont je suis la directrice depuis le 1er janvier 2016, est un service de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture de l’agroalimentaire et de la forêt ; elle est directement rattachée au directeur général de l’alimentation.
Dotée d’une compétence territoriale nationale, la Brigade a été créée en 1992, dans le contexte de la lutte contre les anabolisants présents dans les viandes. À l’origine, son activité était donc orientée vers la lutte contre le trafic des substances interdites et des médicaments vétérinaires ; elle s’est ensuite étendue aux fraudes à l’identification des animaux, et notamment au trafic des carnivores domestiques. D’abord axée sur le domaine vétérinaire, elle intervient dans le domaine phytosanitaire depuis 2002 ; de ce fait, les produits phytopharmaceutiques et la santé végétale entrent également dans son champ de compétence. De fait, la BNVP intervient désormais dans tous les domaines qui relèvent de la DGAL et, ainsi, dans un nombre croissant de domaines techniques.
Nos missions sont précisées par un arrêté ministériel du 30 juillet 2008, qui porte organisation et attributions de la DGAL. Elles se déclinent en trois volets.
La lutte contre la délinquance sanitaire et phytosanitaire organisée représente 80 % de nos missions. Nous réalisons des enquêtes qui visent à rechercher et constater les infractions afin de traduire en justice leurs auteurs. Nous apportons également notre concours aux autorités judiciaires, aux autorités de police et aux administrations qui participent à cette lutte.
À l’origine, l’action de la Brigade visait principalement à faciliter les contrôles lorsque les trafics concernaient plusieurs départements – ce qui était fréquent dans le cas de trafic d’anabolisants. Puis la Brigade a pris peu à peu en charge les demandes des autorités judiciaires, et intervient désormais en appui des services judiciaires pour la réalisation des enquêtes.
La Brigade peut être requise pour assurer un appui technique aux autorités judiciaires et aux enquêteurs, en tant que « sachant » – c’est du reste le cas dans les dossiers qui concernent plus directement votre commission d’enquête. Elle peut également être elle-même à l’origine de l’ouverture d’un dossier destiné aux autorités judiciaires, suite à un signalement des services locaux ou à une enquête administrative.
À titre d’information, de 2005 à 2015, la Brigade a pris en charge 438 signalements judiciaires ; 168 sont actuellement jugés, 175 ont été transmis à la justice et sont encore en cours d’instruction.
La deuxième activité de la BNVP consiste à réaliser des enquêtes administratives, à la demande de la DGAL. En effet, compte tenu de la compétence des agents, de leur connaissance des filières à l’échelle nationale et de leur vision pragmatique, nous sommes mis à contribution pour des enquêtes qui peuvent aussi bien porter sur des enjeux sanitaires que sur des problèmes d’épidémiologie ou des études de filières. Des enquêtes administratives ont ainsi été diligentées dans le secteur de la viande hachée, ou sur la traçabilité de la filière coquillage. Tout récemment, la découverte d’un cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) a justifié une enquête administrative afin d’en découvrir l’origine ; elle a été confiée à la Brigade, en coopération avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Entre 2005 et 2015, la BNVP a effectué 77 enquêtes administratives.
Notre troisième mission consiste en un appui technique aux services de contrôle sanitaire. En cas de crise sanitaire, nos agents peuvent, dans la mesure de leurs moyens, venir aider les services déconcentrés sur une partie du plan de lutte, dans un cadre évidemment limité, dans l’attente de l’intervention d’autres services : nos effectifs, vous l’avez indiqué, se limitent à seize agents. Les services de contrôle peuvent également demander l’appui d’un agent spécialisé de la brigade pour des questions techniques.
Enfin, la BNVP réalise elle-même tous les ans un certain nombre d’enquêtes, notamment dans les domaines phytopharmaceutiques. En 2015, vingt-trois contrôles administratifs d’entreprises de distribution ont ainsi été réalisés à l’initiative de la Brigade, en concertation avec les services régionaux de l’alimentation.
Les seize agents qui constituent la Brigade sont des vétérinaires, des ingénieurs ou des techniciens. Nos bureaux sont installés à Rungis, avec des agents basés à Dijon, Toulouse, Lyon et Nantes. Il s’agit d’agents mobiles, capables d’intervenir en tout lieu et en tout temps. Du fait de leur pouvoir de police administrative et de leur pouvoir judiciaire spécialisé, ils sont juridiquement habilités pour intervenir sur tout le territoire national. Lorsqu’ils agissent dans le cadre d’une enquête judiciaire, ils le font sous l’autorité du magistrat compétent. C’est le cas pour les trois enquêtes qui vous intéressent.
LA BNVP se caractérise par une forte réactivité, sa capacité à intervenir en tous lieux et en tout temps, mais aussi par sa liberté d’action : nous ne sommes ni un service départemental ni un service régional, ce qui nous dégage des contextes locaux. Par ailleurs notre structure est institutionnellement bien reconnue, en France comme à l’étranger.
Je voulais également insister sur le fait que nous travaillons en réseau, avec les services départementaux et régionaux, ainsi qu’avec les services d’enquête de la police ou de la gendarmerie, les douanes ou les services judiciaires.
Nos agents possèdent une expertise dans le domaine pénal et un savoir-faire dans les relations avec les autorités judiciaires. Ils ont par ailleurs été recrutés pour des compétences techniques affirmées dans des domaines spécialisés, après une expérience professionnelle dans des services départementaux ou régionaux. C’est en grande partie la clef de notre efficacité.
Nous intervenons dans le domaine phytosanitaire, pour traquer notamment le détournement d’usage de produits phytopharmaceutiques, les contrefaçons ou la mise sur le marché de produits sans autorisation de mise sur le marché. Dans le domaine vétérinaire, nous intervenons lorsque sont en jeu la sécurité sanitaire des aliments, la protection animale, la santé animale – en cas de tuberculose ou d’influenza aviaire, par exemple –, mais également la pharmacie vétérinaire, l’alimentation animale et l’utilisation de substances interdites.
Nos enquêtes portent donc sur des sujets très variés, et nous conduisent à intervenir dans les abattoirs. Cela a pu être le cas lors d’une enquête qui portait sur la commercialisation de viande contaminée par des salmonelles, à la suite de la dissimulation du résultat des prélèvements d’autocontrôle obligatoires, ou encore à la suite d’un signalement concernant des chevaux présentés à l’abattoir avec des documents d’accompagnement falsifiés.
En ce qui concerne la protection animale, nous avons récemment enquêté dans un couvoir, sur des procédures d’euthanasie de poussins qui n’étaient pas conformes. Nous intervenons également régulièrement, en concertation avec les pouvoirs de police et de gendarmerie, dans des élevages de chiens ou sur des sites de vente de chiens et chats entretenus dans de mauvaises conditions. Nous avons été conduits à ordonner des retraits d’animaux, qui ont été confiés à des associations de protection animale. Nous avons également enquêté, il y a quelque temps, sur un transport de truies qui s’effectuait dans de mauvaises conditions. Suite à l’enquête, le transporteur et le responsable du centre de rassemblement ont été poursuivis.
Concernant les abattoirs d’Alès, du Vigan, et de Mauléon-Licharre, l’association L214 a porté plainte. Chaque procureur a ouvert une enquête préliminaire, confiée à la brigade de recherche de la gendarmerie, et requis les agents de la Brigade en tant que « sachants ». Il ne leur a pas été demandé d’apporter un jugement, mais d’étudier les vidéos, de relever les infractions constatées et de préciser si, sur le plan réglementaire, elles s’apparentent à des contraventions ou à des délits. Ils ont également pour mission d’étudier la plainte écrite envoyée par l’association afin de comparer les infractions relevées par l’association à celles qu’ils ont eux-mêmes répertoriées à partir des bandes. Sur les heures de films qu’ils ont visionnés, ce qui représente un énorme travail, les agents ont estimé qu’il leur était difficile d’estimer l’état de conscience ou d’inconscience des animaux lors des différentes opérations. Les vidéos ont donc également été présentées à des experts, spécialistes des états de conscience chez les animaux, afin de recueillir leur avis et de pouvoir être le plus factuel possible dans le relevé des différentes infractions.
Enfin, dans leur rôle de sachants, les membres de la Brigade ont également vocation à aider les services d’enquête dans la préparation des auditions et l’exploitation des scellés, c’est-à-dire des documents saisis lors des perquisitions.
M. le président Olivier Falorni. Les membres de la BNEVP sont-ils formés à la protection animale ou au bien-être animal ?
Quelles sont les étapes de l’abattage ou les points de contrôle généralement les plus défaillants ? Comment l’expliquez-vous ?
Quelles sont les éventuelles difficultés que rencontre la BNEVP lors de ses interventions en abattoir ?
Mme Karine Guillaume. Nos agents entrent à la Brigade après avoir accompli ailleurs une partie de leur parcours professionnel ; les enquêteurs qui travaillent sur les dossiers touchant à la protection animale ont auparavant travaillé comme inspecteurs en abattoir. Techniciens ou vétérinaires, ils ont acquis au cours de leur formation initiale des connaissances sur le comportement des animaux ainsi que sur les techniques de manipulation et d’abattage, auxquelles s’ajoute l’expérience acquise au cours de leur vie professionnelle antérieure. Tout au long de leur carrière, les agents du ministère de l’agriculture ont par ailleurs accès à des formations très diverses couvrant un large spectre de compétences ; mais ceux de la BNEVP ont également la possibilité de suivre des formations organisées au niveau communautaire. Néanmoins, lorsqu’ils parviennent aux limites de leurs compétences, ils n’hésitent pas, dans un domaine aussi complexe que celui de la protection animale, où les connaissances sont en perpétuelle évolution, à solliciter l’aide de chercheurs spécialisés ; c’est ce qu’ils ont fait à l’occasion de cette enquête. Autrement dit, même si leur formation peut certainement être intensifiée, nos agents travaillent sans cesse à se documenter et à l’améliorer.
En ce qui concerne les étapes de l’abattage où les défaillances sont les plus importantes, force est d’admettre que nos agents, sur le terrain, ne constatent jamais de manquements aussi graves que ceux qui apparaissent dans les vidéos diffusées par L214. Cela tient au fait qu’en présence d’un agent de la Brigade et d’un membre des services vétérinaires, les opérateurs qui travaillent sur les postes d’abattage s’attachent à respecter strictement la réglementation… Jamais nos agents n’ont vu des employés frapper des animaux.
Les agents procèdent systématiquement à une inspection ante mortem – examen des animaux en bouverie – et post mortem – examen des carcasses. En revanche, l’inspection du poste d’abattage se fait par sondage, l’agent y passant ponctuellement au cours de sa visite : il n’est pas systématiquement derrière l’opérateur.
Mme Marie-Claude Boucher, ingénieure de l’agriculture et de l’environnement, agent à la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires. Les difficultés qui se présentent en abattoir sont rares et, quand elles existent, nous les réglons rapidement. Nous avons accès à tous les établissements, sitôt qu’ils sont ouverts. Nous n’avons en général aucun problème pour accéder au poste d’abattage, et les cas d’obstruction sont très rares ; en général, les choses se passent bien, même si les opérateurs ne sont pas toujours contents de nous voir arriver… En général, nos contrôles sont inopinés : nous ne prévenons pas et, après nous être rapidement changés dans les vestiaires, nous nous rendons aux postes que nous souhaitons inspecter. Durant toute ma carrière, qui commence à être un peu longue, j’ai rarement eu des difficultés pour voir ce que je voulais voir. Et si d’aventure le cas se posait, il me suffit de faire appel immédiatement aux services judiciaires pour avoir accès aux endroits que j’entends visiter.
Mme Geneviève Gaillard. On savait qu’il existait des dysfonctionnements dans certains abattoirs mais, avant les trois affaires qui viennent d’être médiatisées ; aviez-vous déjà eu l’occasion d’être saisis pour des problèmes similaires par les services vétérinaires de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) ? Quelles sont vos relations avec ces services, qui jouent un rôle important sur le terrain et interviennent en général très rapidement lorsqu’ils sont saisis d’un problème ?
Lorsque vous constatez des dysfonctionnements dans un abattoir – privé ou public –, faites-vous part de vos remarques à la direction et assurez-vous un suivi pour savoir si vos recommandations ont été mises en œuvre ? Une partie de vos plaintes aboutit, mais d’autres pas. Et pourtant, cela méritait certainement d’aller un peu plus loin. Mais les animaux ne sont pas forcément la priorité des procureurs…
Mme Karine Guillaume. Au cours des enquêtes en abattoir que nous avons pu mener avant les trois affaires révélées par L214, jamais nous n’avions constaté de faits aussi graves. Nos agents avaient rapporté quelques signalements, mais jamais de ce niveau.
Quant à nos relations avec les services vétérinaires, elles sont très étroites. Nos échanges sont continus dans la mesure où, tandis que nous intervenons de façon ponctuelle, ce sont leurs agents qui sont responsables de la conduite des missions sur le terrain : ce sont eux qui assurent généralement le suivi en aval afin de faire évoluer les situations, et leur travail n’est pas facile. Pour les épauler, le ministère de l’agriculture vient de mettre en place un réseau d’experts, composé de six référents nationaux pour les abattoirs, chargés d’apporter aux agents de terrain les compétences techniques qui peuvent leur manquer, les assister et les légitimer dans leurs missions de supervision – rappelons que la brigade intervient principalement sur les questions de nature pénale. Ce réseau sera extrêmement utile, notamment en matière de partage des bonnes pratiques.
Quant à nos enquêteurs qui interviennent dans les abattoirs, ils rendent évidemment compte de leurs constatations aux agents et à la direction des abattoirs, pour étudier avec eux les solutions envisageables aux problèmes identifiés.
Mme Marie-Claude Boucher. Je ne vous parlerai pas des enquêtes en cours, couvertes par le secret de l’instruction, mais l’exemple concret d’une de mes précédentes interventions vous éclairera sur le déroulement de nos procédures. Sollicitée par la DGAL pour intervenir dans un abattoir afin de vérifier le poste d’abattage des ovins, je me suis présentée sur le site à cinq heures du matin – heure de l’ouverture – sans avoir prévenu auparavant ni le directeur de l’abattoir ni la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). Après être passée par le vestiaire pour me changer, je me suis ensuite rendue au poste d’abattage, en compagnie du directeur et du collègue chargé de l’inspection permanente. L’observation a duré environ une heure trente, après quoi nous nous sommes réunis dans les bureaux pour vérifier les procédures administratives, discuter des améliorations à envisager et des mesures que la DDPP allait imposer. Pour ce qui concerne le suivi ultérieur, je me suis fait communiquer copie des réponses apportées par l’abattoir au sujet des anomalies constatées.
Dans tous les cas, nos visites des sites s’effectuent avec le directeur ou le responsable qualité, à qui il sera rendu compte de nos conclusions. De même, si nous entendons saisir le procureur, le directeur en est averti. Jamais nous ne quittons le site sans lui avoir fait part de nos constats et de nos informations.
Mme Geneviève Gaillard. Les services vétérinaires qui œuvrent sur le terrain nous ont dit que la menace d’une contravention incitait souvent les directeurs d’abattoir à se mettre en conformité avec la réglementation : partagez-vous ce point de vue ?
Mme Marie-Claude Boucher. La menace d’une contravention n’est pas forcément nécessaire. Dans chaque abattoir existe un cahier de liaison que les agents de contrôle remplissent chaque jour en notant, le cas échéant, les anomalies qu’ils ont constatées et indiquent les modifications à effectuer. Ce cahier de liaison est transmis à l’opérateur comme au directeur et au responsable qualité, et la réponse est attendue pour le lendemain. Ce système fonctionne globalement bien et, s’il ne remplace pas les contrôles annuels, il permet un échange et un suivi quotidien.
Mme Geneviève Gaillard. Il n’y a pas toujours, dans les petits abattoirs de vétérinaire présent en permanence. En zone rurale notamment, ces vétérinaires sont souvent, par ailleurs, des praticiens, qui n’interviennent que de manière ponctuelle et irrégulière. Comment garantir, dans ces conditions, la qualité du contrôle ?
Mme Karine Guillaume. S’il n’y a pas toujours un vétérinaire sur place dans les petits abattoirs, un agent de la DDPP est toujours présent : c’est lui qui fait remonter les informations aux cadres qui, au sein de celle-ci, sont chargés du suivi de l’abattoir. Il est certain que les vétérinaires qui assurent les inspections ante mortem mais qui, ensuite, partent s’occuper de leur clientèle privée ne peuvent assurer un contrôle permanent ; mais c’est le rôle de la DDPP, dont les agents sont également là pour que les personnels des abattoirs n’aient pas le sentiment d’être livrés à eux-mêmes.
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Jugez-vous le niveau des sanctions délictuelles ou contraventionnelles prévues par la législation adapté aux infractions relevées ? Considérez-vous qu’elles intègrent suffisamment la problématique du bien-être animal ?
On sait que certains magistrats sont plus ou moins réceptifs à ce type de problématiques, quand bien même elles paraissent techniquement et socialement très importantes. Il est avéré qu’un magistrat est par nature omniscient, mais pensez-vous que votre brigade puisse contribuer à les sensibiliser, voire à les former, afin que la souffrance animale soit mieux prise en compte ?
Nous avons constaté que les contrôles ante et post-mortem effectués au nom des pouvoirs publics privilégiaient les enjeux sanitaires sur la question du bien-être animal, sans doute par manque de temps et de moyens. Ne conviendrait-il pas, dans ces conditions, d’augmenter le nombre de référents nationaux au fait des questions de souffrance animale, afin de renforcer le suivi de l’organisation et des pratiques dans les abattoirs ?
Mme Karine Guillaume. En ce qui concerne la pertinence des infractions, ces dernières sont constatées au titre du code rural ou du code pénal. Il s’agit essentiellement d’infractions de niveau contraventionnel : pour qu’il y ait délit, il faut qu’il y ait cruauté envers les animaux, ce qui implique de pouvoir démontrer qu’il y a eu volonté délibérée de faire souffrir l’animal, ce qui est compliqué. Il serait donc plus efficace, selon nous, de créer un délit de maltraitance animale, que ce soit en abattoir ou dans le cadre des transports. Cela faciliterait grandement l’action des services car, outre son aspect dissuasif, la qualification de délit peut viser une personne morale et pas uniquement l’individu ayant commis les faits. Elle permet également des poursuites pour complicité. Enfin, une plainte pour délit a davantage de poids auprès d’un procureur et les délais de prescription ne sont pas les mêmes. Il me semble d’ailleurs que le ministère a engagé des démarches en ce sens, ce dont les agents de la Brigade se félicitent.
En ce qui concerne les magistrats, il faut en effet reconnaître que le bien-être animal, bien que médiatisé, ne figure pas toujours parmi leurs priorités. Je tiens néanmoins à souligner ici que, dans ses missions, la Brigade est en contact fréquent avec les procureurs et qu’au-delà des échanges noués dans le cadre de procédures, nous menons également auprès de ces procureurs des actions de formation et d’information.
Quant au réseau des référents nationaux pour les abattoirs mis en place par le ministère de l’agriculture, il comporte, comme je l’ai dit, six agents dont le travail est précieux. Il est évident que, plus les effectifs sont nombreux, plus leur mission est efficace, mais il ne m’appartient pas de me prononcer sur la possibilité d’augmenter le nombre de ces référents.
M. le rapporteur. Ma question était précisément sous-tendue par l’idée que le renforcement des moyens pose toujours un problème budgétaire : donnez-moi des effectifs, je vous ferai de bonnes tactiques, disait Joukov… Il me semble qu’augmenter le nombre de référents nationaux serait un moyen d’améliorer les choses en créant un étage un peu plus musclé ; ce serait plus efficace et sûrement moins cher que de dupliquer des postes un peu partout.
Mme Karine Guillaume. La formation pratique est très efficace. Et de ce point de vue, l’apport du référent sur le terrain est extrêmement utile car, au-delà de la formation théorique, il apporte au personnel des abattoirs et aux agents de la DDPP un savoir-faire précieux et aide à la mise en place de pratiques adaptées au terrain.
M. Thierry Lazaro. Lorsqu’un inspecteur arrive sur un site d’abattage, il est normal que le comportement des opérateurs s’en trouve modifié. La nature est ainsi faite : sitôt qu’on voit un gendarme, on lève le pied… Vous n’avez donc jamais constaté de visu lors de vos visites des pratiques aussi inhumaines que celles qu’ont dévoilées les vidéos de L214, toute la question que nous nous posons étant de savoir s’il s’agit d’actes ponctuels ou récurrents.
Cela étant, je suppose que, en tant qu’experts habitués au terrain, il peut vous arriver de détecter qu’un opérateur est tendu, énervé ou fatigué. Bien évidemment, il ne s’agit pas pour vous de le dénoncer, car ces personnels, que je ne veux en aucun cas stigmatiser, exercent un métier difficile – dont, par ailleurs, ils sont fiers. Pour être direct, jugez-vous que le système d’abattage français est un bon système ou y a-t-il lieu de nourrir des doutes et des inquiétudes à son endroit ?
Mme Marie-Claude Boucher. Il y a quarante et un ans que je travaille en abattoir. J’ai donc vu les choses évoluer et s’améliorer. Je n’ai jamais vu dans aucun établissement ce que j’ai vu sur les films de L214, que j’ai visionnés de nombreuses fois à la demande du procureur de la République. Pour moi, il s’agit d’actes isolés d’individus qui avaient un problème ponctuel.
Aujourd’hui, dans les abattoirs, je vois des gens qui travaillent bien et en ayant conscience qu’ils ont en face d’eux des animaux vivants et non des cartons ou des boîtes de conserve. Les opérateurs que je rencontre savent que leur tâche est complexe, que chaque animal peut réagir différemment et qu’à un bovin très calme peut succéder une bête beaucoup plus violente, pour X raisons. Ils y sont très attentifs.
Depuis 2013, on s’est beaucoup focalisé sur le bien-être animal, mais il existait déjà auparavant, dans les petits comme dans les gros abattoirs, des responsables qualité qui en faisaient cas et veillaient aux conditions dans lesquelles se pratiquait la mise à mort. Les actes qui sont dénoncés aujourd’hui peuvent être le fait de personnes qui, mal équipées, vont mal se comporter ; mais, globalement, les opérateurs ont fait d’énormes progrès et ont pris en compte la protection animale en abattoir.
M. Hervé Pellois. Pensez-vous que l’installation de caméras dans les lieux d’abattage pourrait être un instrument de dissuasion efficace ?
Mme Marie-Claude Boucher. Les caméras sont un outil intéressant, car un opérateur qui sait qu’il est surveillé n’aura pas le même comportement que lorsque personne ne l’observe. Or il est impossible qu’un agent des services vétérinaires se tienne en permanence au poste d’abattage. Qui plus est, cela ne servirait à rien parce qu’au bout d’un moment l’opérateur aurait l’impression d’avoir une potiche à côté de lui et n’y prêterait même plus attention ; et de son côté, l’agent finirait inévitablement par relâcher sa surveillance car c’est un endroit particulièrement éprouvant. Pour avoir fait, récemment encore, de longues séances d’observation à ce poste, je peux vous assurer qu’au bout de plusieurs heures, cela devient difficilement tenable.
Tout dépend ensuite de l’usage que l’on fait des caméras. Elles doivent être utilisées comme un outil pédagogique, qui permette d’analyser les gestes des opérateurs et, éventuellement, de les corriger. Un directeur d’abattoir, très perturbé par les films de L214, a dernièrement décidé de les montrer à son équipe. Ils les ont visionnés en compagnie des services vétérinaires et les ont ensuite commentés, ce qui leur a permis d’analyser les risques de dérives que comportait leur travail, lorsqu’un animal est violent et difficile à manipuler : qui ne serait tenté d’avoir une réaction brutale le jour où vous êtes énervé et qu’un cheval vous monte sur le pied ? À partir de cette expérience, ils ont estimé que l’installation de caméras dans l’abattoir pouvait être un instrument intéressant.
M. le président Olivier Falorni. Quelles sont vos relations avec les associations de protection animale ?
Pensez-vous que la taille des établissements d’abattage ait un impact sur la survenance d’incidents assimilables à de la maltraitance ?
Pensez-vous par ailleurs que le type d’abattoir – mono-espèce ou multi-espèces – ait un impact sur la survenance de ces incidents ?
Enfin, pensez-vous que les périodes « de pointe », évoquées dans le cas de Mauléon soient plus propices aux dérives ?
Mme Karine Guillaume. Nous avons de fréquents contacts avec les associations de protection animale parmi lesquelles l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), que nous connaissons très bien. Nous avons également des relations avec des associations comme la fondation Brigitte Bardot ou la SPA, lorsqu’il est nécessaire d’effectuer des placements d’animaux. Il arrive d’ailleurs que certaines de ces associations se portent partie civile.
En ce qui concerne l’impact que peuvent avoir la taille et le type d’abattoir sur la maltraitance, il est certain que c’est dans les abattoirs multi-espèces de taille limitée que les risques sont les plus grands. Dans un grand abattoir qui n’intervient que sur une seule espèce, on a généralement affaire à des opérateurs très spécialisés qui travaillent sur un matériel adapté. Mais il ne faut pas généraliser : certains petits abattoirs fonctionnent très bien. Tout dépend des personnes sur place et de l’attention qu’elles portent à leur travail.
Quant aux périodes de forte activité, il faut effectivement les prendre en compte, notamment parce qu’elles peuvent imposer de recourir à des intérimaires insuffisamment formés. Par ailleurs, quand les lots d’animaux sont très importants, les agents peuvent être amenés à vouloir travailler plus vite pour ne pas rallonger excessivement leur journée de travail.
M. le rapporteur. À certaines installations classées est associée une commission locale d’information et de surveillance (CLIS) où siègent, entre autres, des élus et des représentants d’associations. Elle a notamment pour but une meilleure circulation de l’information sur ce qui se passe dans ces installations. Un tel dispositif contribuerait-il, selon vous, à sensibiliser l’opinion publique aux questions de bien-être animal, avec d’éventuelles retombées positives pour les abattoirs ?
Par ailleurs, que pensez-vous des abattoirs mobiles, utilisés notamment en Suède ?
Mme Karine Guillaume. Les commissions de protection de l’environnement mises en place pour les installations classées sont des lieux de concertation et d’information qui pourraient sans doute contribuer à mieux faire connaître à la « société civile » le fonctionnement des abattoirs, et faciliter la compréhension de ceux qui ne les connaissent pas.
M. le rapporteur. Pourraient-elles, selon vous, jouer un rôle préventif ?
Mme Karine Guillaume. Je le pense. Tout échange entre les responsables d’un abattoir et des membres de la société civile peut avoir un aspect préventif en faisant mieux comprendre les problématiques.
Pour ce qui concerne les abattoirs mobiles, je m’interroge sur la faisabilité technique d’un tel dispositif, compte tenu de la complexité du matériel d’abattage, qu’il s’agisse de la chaîne d’abattage, des frigos de stockage, des équipements de contention ou d’étourdissement. Se pose par ailleurs le problème, très complexe, de la gestion des effluents – eaux usées et déchets. Si l’on songe aux investissements considérables que doivent déjà engager les petits abattoirs pour respecter les normes sanitaires et les normes de protection animale, il me semble qu’un abattoir mobile ne peut être envisagé que dans des cas très spécifiques et, en tout état de cause, pour des effectifs limités.
M. Hervé Pellois. Nous avons beaucoup parlé au cours de nos auditions de l’abattage des bovins, des ovins et des porcins. Qu’en est-il de la volaille ? Êtes-vous souvent alertés dans ce type d’abattage ?
Mme Marie-Claude Boucher. Il m’est déjà arrivé de faire des enquêtes en abattoir de volaille, mais nous n’avons jamais mis en évidence de problème particulier ayant trait à la protection animale. L’abattage y est beaucoup plus facile, les animaux ayant moins de caractère et étant beaucoup moins difficiles à transporter jusqu’au poste d’abattage.
M. le président Olivier Falorni. Nous avons abordé hier, avec les représentants de la commission européenne, la question de l’étiquetage. Comment évaluez-vous la faisabilité d’un étiquetage garantissant le respect du bien-être animal sur les produits alimentaires d’origine animale, qui indiquerait notamment le type d’abattage : avec étourdissement ou sans étourdissement préalable – pour ne pas parler d’abattage rituel ? Une telle option est-elle envisageable, et souhaitable ?
Mme Karine Guillaume. Le rôle des services vétérinaires en abattoir consiste à attester que le produit qui sort de l’abattoir est apte à la consommation humaine. Pour être estampillée, une carcasse nécessite non seulement des contrôles sur les animaux ante et post mortem, mais également des contrôles de traçabilité ainsi que des contrôles d’hygiène générale de l’établissement. Les abattoirs ont d’ailleurs fait énormément d’efforts et de progrès en matière de traçabilité, notamment grâce aux systèmes informatisés, type code-barres. Un étiquetage tel que vous le suggérez est donc possible. Est-ce une option intéressante ? Je ne saurais me prononcer.
M. le président Olivier Falorni. Mesdames et monsieur, nous vous remercions.
La séance est levée à douze heures trente.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du jeudi 26 mai 2016 à 11 heures
Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois
Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Dubois, M. Jacques Lamblin, M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala